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Femme au foyer rechargée : Le mouvement « Tradwife » est-il plus qu’une nostalgie inoffensive ?

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La tendance « Tradwife » sur les réseaux sociaux ravive des images nostalgiques de femmes en tant que ménagères dévouées. Elle est souvent présentée comme un choix personnel et valorisant. Mais lorsque de telles représentations prennent de l’ampleur et deviennent une tendance visible, une question se pose : s’agit-il encore d’un choix entièrement libre ? Ou bien ces idéaux influencent-ils subtilement ce que les femmes pensent devoir désirer ?
À mesure que la frontière entre authenticité et influence s’estompe, ce mouvement soulève des questions plus profondes sur l’égalité des genres, la dépendance économique et les attentes sociales.

Récemment, on assiste à une prolifération d’images sur les réseaux sociaux qui semblent tout droit sorties des années 1950. Des femmes en tablier, faisant des gâteaux, dont le but déclaré dans la vie est de servir leur mari. Ces femmes se désignent elles-mêmes comme des « Tradwives », abréviation de « traditional wives » (épouses traditionnelles), et célèbrent un mode de vie que beaucoup pensaient révolu depuis longtemps.

Pour la plupart, ce changement n’a pas été déclenché par un moment précis, mais s’est construit au fil d’années d’expériences vécues. Un père a confié qu’il avait fini par comprendre que « montrer de l’amour, de la douceur et de la vulnérabilité à mon enfant n’était pas une faiblesse, mais une force ». Un autre a mentionné que devenir père l’avait obligé à affronter des aspects de lui-même qu’il avait ignorés pendant des années : « Je voulais élever un homme meilleur que celui que j’avais appris à être. »

Les deux mouvements sont unis par une vision rétrospective idéalisée d’une époque où le monde semblait plus simple, mais pas plus juste. L’esthétique Tradwife évoque l’image de la femme au foyer aimante, qui connaît sa place et l’assume avec joie.

Ce que l’on oublie souvent : dans les décennies auxquelles renvoie cette nostalgie, les femmes ne disposaient ni d’indépendance économique ni d’égalité garantie par la loi. Être derrière les fourneaux n’était pas un choix, mais la seule option. La mise en scène actuelle de ce modèle de vie ignore les discriminations systémiques et idéalise une époque où l’autonomie des femmes était, au mieux, tolérée — mais le plus souvent empêchée.

C’est précisément là que réside le problème. Ce qui ressemble à une nostalgie esthétique reproduit une vision du monde dans laquelle la répartition des rôles n’est pas seulement valorisée, mais de nouveau normalisée comme idéal.

L’une des figures les plus en vue de la scène tradwife est l’influenceuse australienne Jasmine Darke (@jasminedinis). Avec environ 286 000 abonnés sur Instagram, elle fait activement la promotion des rôles de genre conservateurs. Dans l’une de ses vidéos les plus controversées (plus de deux millions de vues), elle déclare :

« J’enseigne à ma fille qu’il est parfaitement acceptable de dépendre d’un homme. Que devenir femme au foyer est la première carrière à laquelle elle devrait aspirer. Et que servir son mari et avoir des enfants sera sa plus grande joie. »

Mais elle n’est pas seule. Avec plus de neuf millions d’abonnés sur TikTok, l’ancienne ballerine Hannah Neeleman (@ballerinafarm) présente une version idyllique de la vie domestique dans une ferme de l’Utah : tabliers en lin, levain fait maison, un four à 20 000 dollars. Une autre figure clé est Nara Smith, qui partage son quotidien de jeune mère et d’épouse à travers des vidéos soigneusement mises en scène, ayant accumulé plus de 700 millions de mentions « j’aime ». Dans son contenu, elle fait tout elle-même : des pâtes et des soins pour la peau faits maison jusqu’à la nourriture pour bébé et la décoration intérieure. Toujours avec une voix douce et une esthétique calme et gracieuse. Sa performance d’une autosuffisance domestique totale, enveloppée de beauté et de facilité apparente, a fait d’elle une icône moderne du mouvement tradwife. Ensemble, elles incarnent différentes variations d’une même idée : un retour à la simplicité, au dévouement et au traditionalisme féminin.

Les tradwives parlent souvent d’épanouissement, de féminité et de paix intérieure. Leurs discours suivent une logique claire : dans un monde dominé par l’auto-optimisation et la pression de la performance, se consacrer entièrement à la famille et au foyer serait un acte de libération. Il ne s’agirait pas d’oppression, mais de choix.

Cela peut sembler anodin, si ce n’était pour la charge idéologique que beaucoup de ces comptes véhiculent. Entre filtres doux et recettes de pain, on trouve des remarques dénigrantes sur les femmes qui travaillent, des piques contre le féminisme, des discours religieux dogmatiques ou encore des visions du monde conservatrices et de droite. Ce ne sont pas des exceptions, mais des schémas récurrents.

Qui plus est, ce contenu est souvent consommé par des hommes qui se considèrent comme des « mâles alpha » et trouvent dans la romance tradwife une confirmation de leur propre vision du monde. À leurs yeux, cette tendance prouve que les femmes n’ont jamais réellement voulu l’égalité, qu’elles aspirent à un leadership masculin, à de la structure et à la domination des hommes. Le retour supposément volontaire aux rôles traditionnels est alors interprété comme la preuve d’un « ordre naturel » où les
hommes dirigent et les femmes suivent.

Ce mode de vie favorise une dépendance toxique envers le mari — financière, sociale, émotionnelle. Que se passe-t-il s’il part ? Meurt ? Perd son emploi ?

Beaucoup de tradwives n’ont ni revenu propre, ni économies, ni régime de retraite, ni expérience professionnelle. Elles désapprennent à survivre de manière autonome. Dans le pire des cas, elles se retrouvent, avec leurs enfants, sans aucun filet de sécurité. Ce qui semble être du confort et de la sécurité peut rapidement se transformer en piège.

Et cela n’est pas seulement injuste. C’est dangereux.

Parallèlement, l’esthétique tradwife est souvent utilisée à des fins lucratives d’auto-promotion. Les influenceuses vendent le rôle de femme au foyer comme une marque de style de vie, proposet cours en ligne sur « l’énergie féminine », expliquent d’une voix douce pourquoi la véritable féminité se caractérise par la soumission, et gagnent des milliers d’euros par mois.

Ironiquement, leur succès repose sur la visibilité, la monétisation et le personal branding — des privilèges que les femmes au foyer des années 1950, auxquelles elles prétendent rendre hommage, n’ont jamais eus.

Gagner de l’argent en prônant l’idéal de la dépendance financière — ce n’est pas seulement une contradiction, c’est une forme de romantisme sélectif.

Qu’est-ce qui peut rendre le concept tradwife séduisant ?

  • Un sentiment de but et de structure
  • Des rituels et des routines qui procurent un sentiment de sécurité émotionnelle.
  • La reconnaissance du travail domestique comme une forme de soin légitime et précieuse.

Qu’est-ce qui le rend dangereux ?

  • La dépendance financière envers un partenaire.
  • Le renforcement de normes de genre rétrogrades.
  • L’idéalisation d’un passé inégalitaire et excluant.
  • Le risque d’isolement social et de perte d’autonomie.

Mais est-il possible de garder le bon et de laisser de côté le mauvais ? Oui, en faisant des choix conscients.
Si vous aimez le travail domestique, c’est magnifique. Mais assurez-vous que ce soit un choix, et non une obligation.
Protégez votre indépendance. Préservez votre capacité à gagner votre vie. Développez des compétences au-delà du foyer.
Ainsi, vous pouvez construire une vie épanouissante sans qu’elle devienne enfermante.

Peut-être que le mode de vie tradwife ne vous attire pas du tout, ou peut-être qu’un aspect de celui-ci vous séduit.

Pas parce que vous souhaitez être dépendante. Mais parce que vous êtes fatiguée.
Fatiguée de devoir toujours être forte, efficace, responsable.
Fatiguée du bruit, de l’agitation, des attentes.

Dans un monde qui exige tout des femmes — carrière, beauté, travail de soin, confiance, douceur, ambition — l’idée de rôles plus simples peut sembler être un soulagement.
Cela ne fait pas de vous quelqu’un de faible.
Cela fait de vous un être humain.

Mais la solution à cette fatigue n’est pas un retour aux années 1950.
C’est une remise en question radicale de ce à quoi la vie en 2025 devrait ressemb

Parce que le problème, ce n’est pas que les femmes essaient d’en faire trop.
Le problème, c’est qu’on s’attend à ce qu’elles le fassent seules.

Nous avons besoin d’un système où le travail de soin est partagé — non seulement entre partenaires, mais de façon structurelle.
Où les hommes assument une part égale de la charge émotionnelle et domestique.
Où élever des enfants, entretenir un foyer et créer de la stabilité sont la responsabilité de tous, et non seulement la sienne.
Où des réseaux de soutien existent au-delà de la famille nucléaire.
Où une femme peut choisir la douceur sans sacrifier son indépendance.

Alors, au lieu de romantiser un passé fondé sur l’inégalité, posons la vraie question :

À quoi ressemblerait un monde où vous pouvez vous reposer, vous sentir en sécurité, et être libre malgré tout ?

Ce n’est pas de la nostalgie. C’est du progrès.

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